mardi 31 juillet 2007

« La France postcoloniale en question : enjeux et actions ». Esclavage, colonisation, racisme, "post colonialité" : nouveaux débats, nouveaux enjeux. par Catherine Coquery-Vidrovitch



Conférence donnée dans le cadre des activités du CVUH, 14 juin 2007 (texte brut).


L’histoire de l’esclavage aux Antilles et le passé colonial africain ont été l’objet d’investissements politiques majeurs depuis les années 2000. Le propos de cette conférence, après le rappel des sujets de désaccord et de passion sociale qui rendent compte de l’accueil particulier fait en France à ces questions, est de tenter une présentation critique des principales directions de travail suggérées aux historiens : quel est l’intérêt scientifique des problématiques aussi bien coloniales que "postcoloniales", une fois dégagées de leur impact aujourd’hui surtout médiatique ?
Je ne vais pas raconter une fois de plus ce qui a été dit et répété depuis le début des années 2000. Je rappellerai simplement la chronologie, qui a son importance pour les enseignants quant à la nouveauté relative du sujet.
Je ne vais pas parler non plus des programmes récents du secondaire, dont je connais mal l’évolution car je l’ai quitté depuis longtemps et mes enfants ne sont plus d’âge scolaire. Je voudrais simplement mettre au clair, pour commencer, quelques réalités de la recherche sur la question, car cette recherche est faite pour fournir aux enseignants une partie des matériaux à enseigner.
Concernant la connaissance de l’histoire de la colonisation française, il n’est pas vrai qu’elle n’a pas été enseignée naguère. Je puis en témoigner personnellement, j’étais au lycée au début des années 50, et on m’a enseigné, entre autres, pour ne donner qu’un ex. frappant, les enfumades de Bugeaud durant la conquête algérienne, on n’en faisait d’ailleurs pas tout un plat, considérant après tout cela comme une espèce de normalité de la guerre coloniale… J’ai aussi constaté, dans le Malet Isaac de Terminales, année 1930, un long chapitre sur la colonisation sous la Troisième République, très optimiste bien entendu.
En revanche, il est tout à fait vrai que l’histoire de l’esclavage dans les colonies française, qui est aussi partie de l’histoire de cette colonisation française, n’a pas été enseignée du tout pendant très longtemps. Là encore, je peux en témoigner, avec le manuel du primaire bien connu dit le Petit Lavisse que j’ai eu entre les mains en cours moyen première année, en 1946 pour ne rien vous cacher : RIEN. Ce rien avait évidemment été la règle avant guerre ; dans un colloque récent auquel j’ai participé en Martinique, sur la question de savoir comment enseigner cette question dans les DOM, il y avait une très belle exposition organisées par les Archives départementales sur les manuels scolaires anciens : les programmes, qui étaient ceux de la troisième république pour l’ensemble des petits Français, et les manuels sont explicites : rien sur l’esclavage. A signaler néanmoins un petit manuel du tout début du siècle, 1902-1903, consacré à l’histoire de la Martinique, manuel destiné aux enseignants et aux curieux car ce n’était pas dans le programme, qui est tout à fait moderne, et dont certaines phrases pourraient faire penser qu’il aurait été écrit vers les années 2000 : mais c’est l’exception qui confirme la règle. Cette règle s’est poursuivie fort longtemps dans le primaire, sans doute plus ou moins jusqu’à la fin du XXe siècle.
Qui plus est, j’ai aussi fait un sondage aprofondi dans les manuels du secondaire : je peux vous dire que rien n’est dit dans l’ancêtre du autrefois bien connu Malet-Isaac, il s’agit du manuel de classes terminales de Malet et Grillet suivant les instructions officielles de 1902. Rien non plus dans le Jules Isaac de la classe de Première, édition de 1929, où l’esclavage n’a été supprimé ni par la convention en 1794, ni par la Révolution de 1848 ; n’ayant jamais existé, il n’a pas non plus été rétabli en 1802. D’ailleurs, dans le manuel de seconde Malet et Isaac de 1931, au XVIIe siècle les Antilles françaises existent à peine, donc pas non plus le code dit noir de 1685, pourtant l’année de la Révocation de l’Edit de Nantes, et ce n’était pas un hasard : ce n’est pas pour rien que le premier article du code exige que tous les esclaves soient baptisés dans la religion catholique. Je ne résiste pas à citer la phrase litotique sur la question p. 196 :

« Dans les Antilles, alors les plus riches de nos colonies, la culture de la canne à sucre se développa et donna lieu à un fructueux trafic avec les ports de l’Atlantique ». C’est tout… Silence absolu sur l’esclavage et la traite des esclaves.


Sur la colonisation, esclavage exclu donc, la recherche, elle, a été active, entièrement refondée pendant les prémices et à la suite de la décolonisation. Il y a eu à la tête de ce mouvement un grand prof qui a occupé en Sorbonne la chaire d’histoire de la colonisation de 1947 à 1961, Charles-André Julien. De grandes thèses d’Etat ont été soutenues et publiées sous son égide.
Ce courant s’est maintenu jusqu’au début des années 1970. Ensuite, la recherche s’est tarie, et il y eut sur 20 ans seulement deux publications scientifiques notables, qui d’ailleurs étaient l’une et l’autre l’aboutissement de l’effervescence antérieure : L’idée coloniale en France, de Raoul Girardet, publiée en 1972, et Empire colonial et capitalisme français, de Jacques Marseille, publiée en 1986. Ensuite, plus rien, ou presque ; si bien que Daniel Rivet, dans un article de la revue XXe siècle de 1992, concluait provisoirement : « Le fait colonial et nous : histoire d’un éloignement ». Drôle de conclusion, un peu surprenante quand même au moment où cela allait repartir, avec juste l’année précédente la publication de deux grosses Histoire de la France coloniale, dont celle publiée chez Colin, qui connut une version poche en 1996, et est aujourd’hui complètement épuisée, tandis que Marc Ferro, toujours attentif à pressentir les questions à venir, publiait son Histoire des colonisations en 1994.
Ce qui semblait néanmoins établi, c’est qu’on arrivait à un débat désormais apaisé. Or surprise ! La querelle entre historiens repart de plus belle avec le début du XXIe siècle. Le point de départ fut la publication en 2003 du livre publié sous la direction de Marc Ferro, toujours lui, sur « Le livre noir du colonialisme », dans l’ensemble bien accueilli par la critique, et fort mal par les collègues qui trouvèrent son titre provocateur, donc non scientifique. Le titre ayant évidemment été inventé par l’éditeur pour faire vendre, ce que l’université n’aime guère…
Bref, nous tombons alors dans le débat sur les lois dites mémorielles, à la suite de la découverte de l’article 4 de la loi de février 2005, signalé par l’une de ses étudiantes à Claude Liauzu qui a lancé alors, en compagnie de Gilbert Meynier et de Gérard Noiriel, une large pétition traduisant à juste titre l’ire de la communauté scientifique des historiens, puisque le politique s’arrogeait le droit de commander aux enseignants ce qu’ils devaient enseigner, en leur enjoignant de présenter à leurs élèves les aspects positifs de la colonisation, en particulier en Algérie. Vous savez que l’opposition a été telle que finalement le président Chirac, par un tour de passe-passe juridique, a fait l’année suivante retirer l’article de la loi.

Je n’ai pas ici l’intention d’aborder la polémique sur les lois mémorielles, sur lesquelles vous pourrez, si vous le désirez, me poser des questions. Ce que je veux aborder, c’est le contexte que ce débat révèle, et je voudrais faire ici avec vous le point de ce que les enseignants peuvent en tirer, dans leur façon d’enseigner à leurs élèves l’histoire de la colonisation. 


Premier point : il n’y a en histoire ni tabou ni anachronisme. On rend compte de ce qui s’est passé, on s’efforce de démonter les enchaînements et les mécanismes, de répondre surtout à la question : pourquoi cela s’est-il passé ainsi, au delà du simple descriptif « comment cela s’est-il passé ». C’est le travail de base de l’historien. L’historien n’a pas à porter sur le passé des jugements de valeur relevant d’un point de vue d’aujourd’hui. Il faut comprendre comment et pourquoi cela était pensé de cette façon à l’époque lointaine que l’on étudie. C’est une des raisons pour lesquelles l’idée de peser le pour et le contre, en distinguant les aspects estimés positifs de ceux estimés négatifs de la colonisation, est particulièrement inepte : c’est mélanger le jugement moral d’aujourd’hui et l’analyse historique du passé. C’est proprement faire acte volontaire d’anachronisme.
Ceci dit, aucun mot n’est non plus tabou. Prenons par exemple le terme d’ « abus coloniaux ». Ce n’est pas un terme « politiquement incorrect ». D’abord, les acteurs eux-mêmes de la colonisation en ont parlé abondamment. Cela a fait depuis les débuts de la troisième République la une des journaux, et donné lieu à de multiples interpellations à la chambre des Députés chaque fois que des excès étaient détectés. Le gouvernement du Front populaire, qui était partisan de la colonisation mais désireux de remédier à ses abus, l’a mis très officiellement à l’ordre du jour de ses préoccupations. Il n’est donc pas impossible d’expliquer aux élèves que, à partir du moment où un très petit nombre d’administrateurs et de militaires très peu contrôlés, surnommés par eux-mêmes et par leurs administrés « Commandant » même s’il s’agissait de civils, jouissaient de quasi tous les pouvoirs aux colonies, avec une séparation des pouvoirs inexistante, des abus ont été inévitables, dans un régime inégalitaire où le colonisateur était le dominant, et le colonisé le sujet à soumettre. Bien entendu, les choses ont été extrêmement complexes et nuancées, car l’interrelation entre colonisateur et colonisé était étroite et réciproque. Cela a été montré dans un superbe texte d’Albert Memmi dès les années 1950, Portrait du colonisateur, suivi dePortrait du colonisé. Cela a été repris de façon savante par Henri Brunschwig sur l’Afrique noire, dans un ouvrage dont le sous-titre était : « comment le colonisé devint colonisateur ». C’est évident : les rapports humains, sociaux et politiques ont été dans les pays colonisés très compliqués, il y a eu symbiose et interactivité, et non pas deux blocs antagoniques face à face, les colonisés et les colonisateurs. Mutatis mutandis, c’est comme dans la France de Vichy : vous avez eu une minorité de gens convaincus et actifs, d’un côté les collaborateurs, de l’autre les résistants, et entre les deux une masse complexe et fluctuante, capable du meilleur et du pire en fonction d’une multiplicité de données et de circonstances. Il n’empêche, un historien peut s’attacher à analyser des actes de résistance, ou des actes de collaboration, sans être nécessairement taxé de repentance ou de solidarité. Or à l’époque coloniale, et à cause des rapports de force et de culture mis en place, il y a eu, entre autres choses, pas mal d’abus, ceux-ci sont souvent répertoriés en tant que tels dans les archives, connues des historiens, et ils sont en sus aisément explicables. Donc je ne comprends vraiment pas pourquoi, tout à coup, au nom de l’idée de la France, de l’honneur de la France, ou de la mémoire de la France, selon les expressions utilisées par divers historiens, il ne faudrait pas en parler car ce serait faire acte de repentance. Je le dis fermement, et je pense que ce doit être clair pour les élèves, et ce n’est pas facile à expliquer justement parce qu’ils ont tendance à confondre les registres : la repentance est du domaine de la morale et ce peut être une arme ou une manipulation politique, - ça l’est d’ailleurs puisque le terme a été repris par le président Sarkozy -, ce n’est pas du ressort de l’historien, car l’histoire est affaire de savoir et non de morale. Il ne faut pas se tromper de domaine. Il me paraît essentiel que l’enseignant parvienne à expliquer sans pathos et sans drame à ses élèves et étudiants que les discussions pas toujours très informées qu’il entend à la télé, - où par ailleurs il peut aussi apprendre beaucoup de choses -, ne sont pas à accepter pour argent comptant : il y faut exercer son esprit critique comme dans l’usage d’internet. Mais à l’inverse, il est exaspérant de lire comme argument contradictoire supposé scientifique, comme je l’ai lu récemment chez un pourtant excellent historien, l’accusation d’avoir trop de succès dans les medias. Lisez attentivement nombre de spécialistes actuels de la question coloniale, notamment mais pas seulement chez les historiens : accuser un auteur d’avoir du succès ou de faire parler de soi dans les medias (ce qui d’ailleurs est tout relatif sauf pour un nombre très limité d’intellectuels vedettes) est devenu peu ou prou preuve de culpabilité. Cela revient à démontrer que l’auteur en question écrit des sottises. Or le plus souvent, c’est le compte rendu qu’en donnent les medias qui est réducteur. Je ne saurais trop recommander de lire dans le texte les auteurs incriminés, vous vous apercevrez la plupart du temps que le critique construit un adversaire imaginaire, présenté comme mauvais penseur parce que partial, simpliste et polémique, Si vous vous reportez au texte incriminé, vous n’y retrouvez même pas ce que le critique est supposé combattre. Je pense qu’en ce domaine Gérard Noiriel a bien raison : les medias font de plus en plus les opinions, mais ce qui me navre, c’est que beaucoup de chercheurs scientifiques en sont victimes comme les autres : ils confondent l’interprétation médiatisée de théories avec la théorie elle-même, qui du coup est rejetée avant d’être étudiée ou analysée sérieusement.
Je plaide, d’une façon générale, pour le doute scientifique, qualité à mes yeux primordiale de l’historien. Ce que je vais dire est une règle de base banale pour les historiens, qui a été explicitée de façon bien plus savante que je ne vais le faire par nombre d’historiens de qualité ; c’est ce que j’ai en somme passé ma vie professionnelle à enseigner à mes étudiants : ne faites jamais confiance à un autre, même s’il ou elle a la réputation d’être savant, y compris votre propre directrice de recherche : chaque historien, qu’il le veuille ou non, a son point de vue, car une volonté d’esprit critique rigoureux n’empêche pas que chacun est situé dans le temps et l’espace et donc parle d’un point de vue qui n’est pas universel. Une citation n’est pas une preuve, et souvent, quand on se reporte au texte original, on constate que le sens originel a été biaisé, le plus souvent involontairement, tout simplement parce que chacun a tendance à ne trouver que ce qu’il ou elle cherche. Cela fait à la fois le charme et le danger des sciences sociales, qui ne sont pas des sciences exactes. Contrairement à ce que le public croit, il faut en effet beaucoup d’imagination, certes contrôlée, à un historien pour élaborer des explications concernant les évolutions du passé. C’est cette imagination contrôlée qui permet de faire des hypothèses ; mais ensuite, une grande partie du travail consiste à contrôler si elles sont judicieuses. Contrairement à d’autres sciences moins pragmatiques, le fait est têtu pour l’historien : le bon historien est celui qui accepte de s’être trompé, parce que entre l’hypothèse et le fait, s’ils s’avèrent contradictoires, c’est le fait qu’il va choisir, et il doit en ce cas renoncer à son idée.
Ce qui me choque donc le plus, aujourd’hui, c’est la façon dont ce que j’appellerai l’establishment académique a tendance à affirmer comme vérité absolue ce qui n’est en somme qu’un point de vue sérieusement argumenté, certes, mais qui contient toujours une interprétation nécessairement relative, car datée et située (par exemple originaire du nord ou du sud, sans nécessairement d’ailleurs que ce soit contradictoire).
C’est pourquoi je voudrais aujourd’hui vous parler d’un concept qui fait couler beaucoup d’encre et écrire bien des sottises : celui de postcolonialité. Je préfère le terme de postcolonialité, qui exprime le constat d’un fait, d’une réalité culturelle complexe, à celui de postcolonialisme, qui est un pseudo-américanisme maladroit posant un phénomène en théorie. Il faut aussi savoir que les penseurs américains adorent proposer de nouvelles théories, ils en inventent au moins une par an sinon davantage, mais ce qu’ils appellent théorie n’en est pas vraiment une, il faudrait plutôt le traduire, comme je l’évoquais à l’instant, par « hypothèse de travail à explorer ». D’ailleurs, en l’occurrence, les Américains, ne disent pas « postcolonialism », mais « postcolonial studies », ce qui est nettement plus intéressant. Le mot en –isme « postcolonialisme » serait plutôt une invention française à nuance péjorative pour stigmatiser ce qui a longtemps été rejeté en France comme « encore une de ces idées farfelues lancées par ces Américains » - ce qui est en l’occurrence inexact, puisque la naissance de ce courant est due à des chercheurs indiens, qui le firent d’abord connaître sous le nom de subaltern studies.
Pourquoi mettre les choses au point ? Parce que, entre autres, il y a quelques jours, en comité de rédaction d’une revue en sciences sociales, j’ai assisté à une discussion qui m’a surprise. L’idée présentée par quelques chercheurs était de prévoir un numéro faisant le point sur la postcolonialité. Tollé de la plupart des présents : mais on ne parle que de ça ! on ne voit que les tenants de la question, on n’entend qu’eux. Un peu estomaquée, parce que j’ai au contraire le sentiment, peut-être erroné, que les idées postcoloniales ont beaucoup de mal à déboucher dans la recherche française, j’ai demandé ce qui leur faisait affirmer cela : « la télé », ont-ils argué en cœur. Alors j’ai compris : je ne regarde pratiquement jamais la télé et j’écoute trop rarement France Culture. J’avoue donc humblement n’être pas informée de cette supposée déferlante ; pour ma part je lis les auteurs, les pour et les contre, j’essaie de réfléchir sur ces études, d’utiliser ce qui me paraît efficace, et de faire passer parmi mes pairs ce que j’en comprends et ce que j’en tire. J’ai d’ailleurs été rangée, par une collègue américaine, dans la catégorie des « soft multiculturalists ». Autrement dit, je fais partie de ceux qui pensent que dans de nouveaux concepts excitants il y a en général des éléments à prendre et d’autres à laisser, bref j’aime procéder à ma propre synthèse avec mon propre esprit critique de façon aussi rigoureuse et honnête, et aussi pragmatique que possible. Ceci est typiquement, à mon avis, une démarche d’historien, l’histoire étant une science expérimentale partant du concret et y revenant constamment, à la différence de sciences plus conceptuelles comme la sociologie ou l’économie, davantage friandes de théorisation. Or je suis bloquée auprès de mes pairs en France, je l’apprends soudain… par la télé.
Alors je voudrais vraiment ici faire le partage, et vous dire comment je comprends la chose, non pas à travers les annonces des médias sur ce qu’on pourrait appeler le « postcolonialisme populaire » (à supposé que beaucoup d’autres que les chercheurs soient préoccupés par ce genre de problème), mais en lisant dans le texte (plutôt qu’à travers des critiques médiatiques, fussent-elles du Monde) les spécialistes de la question que j’estime les plus érudits et les plus rigoureux, c’est à dire justement le contraire de la télé : ma question scientifique c’est : qu’est-ce que peuvent apporter les idées postcoloniales en recherche historique ?
- D’abord qu’est-ce que le postcolonial ?
Je serai direct : je vais commencer par les contresens que l’on fait couramment à ce propos. Je commence donc par ce qu’il n’est pas : ce n’est pas un concept chronologique. Parler du postcolonial ne signifie pas étudier ce qui se passe après la colonisation, ou de façon linéaire à la suite de la colonisation ;
Ce n’est pas non plus un concept homothétique, un décalque de la période coloniale, signifiant par là que ce qui se passe aujourd’hui, après la colonisation, est identique ou à peu près à ce qui se passait du temps de la colonisation.
Ce que je dis est banal, mais ce sont pourtant les reproches courants faits par des chercheurs à d’autres chercheurs. Je prendrai un peu au hasard, car j’aurais l’embarras du choix, la citation à ce propos d’un chercheur que je ne nommerai pas, parce que je le trouve par ailleurs, malgré cette petite faiblesse passagère, de grande qualité. Mais vous avez là néanmoins un exemple typique de ce que je viens de dire. Je lis la conclusion à laquelle l’auteur aboutit, à propos des relations entre racisme etcolonisation :
« Plus généralement, une vision continuiste de l’histoire, qui lie de manière trop linéaire discriminations coloniales et contemporaines comme étant toutes le produit d’un racisme inchangé, est inadéquate ».

Je suis parfaitement d’accord, évidemment, avec ce constat de bon sens. Mais quel historien digne de ce nom a jamais écrit que l’histoire devait être vue dans une vison continuiste, qu’elle devait établir des liens linéaires, et que le racisme était un concept inchangé au cours des temps ? Une phrase de ce type, et on en trouve des myriades chez les meilleurs auteurs, ne s’accompagne pas, en général et pour cause, de citation. Car le critique serait bien en peine d’en trouver une, chez un historien d’une façon ou d’une autre professionnel, qui s’accorde avec ces reproches. On construit donc un adversaire imaginaire globalisé, par exemple « les repentants », et ensuite il devient évidemment assez facile d’en faire le procès.


Noter par ailleurs que je ne voudrais pas non plus avoir l’air de défendre une vieille lune. Car si la bataille du postcolonial apparemment bat encore son plein en France après avoir été dans un premier temps rejetée globalement comme inadéquate, elle est déjà quasi oubliée aux Etats Unis. Nous sommes très en retard. Cela a commencé, comme je l’ai déjà dit, en Inde dans les années 1980, et les penseurs américains, qui ont, il faut le reconnaître, l’art de couper les cheveux en quatre avant d’abandonner les concepts ainsi épuisés, ont décomposé les études postcoloniales en théorie postcoloniale, postcolonialité, condition postcoloniale, critique postcoloniale, et nous en sommes aujourd’hui à la raison postcoloniale. Ces élucubrations, à mon avis d’historienne, n’ont pas grand intérêt, dès lors qu’elles tendent à remplacer l’usage analytique qu’on fait de l’outil conceptuel postcolonial. Pour la description la plus claire et la plus critiquement lucide de ces amusements d’intellectuels bavards, je vous renvoie à un excellent article de celui qui a par ailleurs traduit à l’usage des francophones les textes fondateurs des subaltern studies indiennes, l’historien sénégalais Mamadou Diouf, professeur à Columbia University, New York. L’article s’intitule de façon assez provocante « Les études postcoloniales à l’épreuve des traditions intellectuelles et des banlieues françaises », il a été publié en français dans la revue Contretemps, n° 16, avril 2006. C’est concis, précis, et complet. On peut le compléter par le numéro spécial de la revue Esprit, « Pour comprendre la pensée postcoloniale », n° 330, décembre 2006.
J’entends ici considérer le postcolonial comme un outil d’investigation de l’historien. Je reviens donc à sa définition, compte tenu de tout ce qu’il n’est pas. Le postcolonial, ce n’est pas une période : c’est un mode de penser pluriel, qui prétend d’abord tenir compte de tous les points de vue, et pas seulement de celui, conscient ou pas, transmis par l’historiographie classique des anciennes métropoles européennes, ce qu’un philosophe congolais, lui aussi aujourd’hui professeur dans une université américaine, a qualifié de bibliothèque coloniale. Cette bibliothèque coloniale, qui peut d’ailleurs être autant le fait d’historiens occidentaux qu’africains parce que tous formés dans les mêmes écoles jusqu’à il y a peu, a imprégné tous les étudiants passés dans les universités francophones ou anglophones d’Europe et d’Afrique, quelle que soit leur origine. Le point de vue postcolonial consiste donc à relire le passé à la lumière de la critique menée aujourd’hui sur cette “bibliothèque coloniale”. Nous sommes aidés en cela par une série de thèses récentes de qualité, qui revisitent notre savoir colonial : à ce jour ont été écrites trois thèses, celle d’Emmanuelle Sibeud sur l’histoire de l’anthropologie (EHESS), celle de Marie-Albane de Suremain sur l’histoire de la géographie coloniale dite aussi à l’époque tropicale, et l’HDR de Sophie Dulucq sur l’historiographie proprement dite de l’histoire de la colonisation (toutes deux à l’Université Paris-7). Ce sont des instruments précieux, car ils permettent de resituer les analyses héritées dans leur contexte, et donc de relativiser leur apport en fonction de leur temps et de leur espace. Utiliser l’outil postcolonial dans l’histoire de la colonisation française à écrire aujourd’hui, c’est donc garder à l’esprit que nous sommes, nous Français (et donc aussi nous historiens français), comme d’autres le sont ailleurs, imprégnés d’héritages multiples, parmi lesquels l’épisode colonial a joué son rôle et a laissé des traces, et qui plus est des traces qui ne sont pas les mêmes pour tous, a fortioridu côté des descendants des ex-colonisés et du côté des ex-colonisateurs, et aussi bien entendu au sein de chacun de ces groupes ou les contrastes demeurent à la fois contradictoires et inséparables.
Mais il est une erreur à ne pas commettre – et pourtant des critiques sérieux accusent d’autres historiens sérieux de le faire- ; jamais aucun historien n’a prétendu que tout aujourd’hui, et en particulier les émeutes de banlieue, les mouvements contestataires luttant contre les discriminations raciales, ou les positions politiques, ne s’expliquent que par le passé colonial. Le passé colonial hérité fait partie d’un ensemble infiniment plus riche, où tout notre héritage historique est impliqué, depuis, pour certains, leurs ancêtres les Gaulois jusqu’aux cultures métisses qui se sont développées continûment dans notre pays, qui est, il faut le rappeler, le pays d’Europe qui a attiré dans l’histoire longue le plus grand nombre d’immigrants.
Ce que je viens de dire justifie la pertinence d’examiner des concepts pourtant rejetés sans examen par la plupart de nos collègues, au seul motif le plus souvent allégué, qu’ils ont été lancés de façon médiatique et donc de façon agressive insuffisamment justifiée. Je dirai pour ma part au contraire que ce dernier argument est pour moi une raison de plus de m’emparer du concept, si celui-ci me paraît intéressant : peu me chaud la façon dont un concept a été lancé, pour peu qu’il me paraisse reposer sur quelques fondements. Qu’on en discute est déjà un bon signe, cela est donc à creuser et préciser, voire à réorienter.
Je prendrai au hasard quelques-uns de ces nouveaux concepts qui sont rejetés par la plupart des spécialistes :
Celui de « culture coloniale » puis « postcoloniale » française.
L’inventeur n’en est pas, comme on l’affirme la plupart du temps, trois ouvrages collectifs français, mais un historien américain spécialiste de notre histoire coloniale, Herman Lebovics, prof. à la State University of New York, dont le premier livre sur la question a été traduit en français en 1995 : La vraie France : les enjeux de l’identité culturelle, 1900-1945. Comme il ne s’agissait pas de la période de Vichy, et que le moment était un peu prématuré, il n’a pas connu en France l’écho du livre de Robert Paxton qui fut, comme on le sait, en 1972 seulement, le premier historien à aborder la période de Vichy. Le résultat est que malheureusment les livres suivants de Lebovics, qui creusent cette idée, n’ont pas été traduits (ils sont passionants, et je renvoie au CR que j’en ai fait dans le dernier numéro des Cahiers d’Etudes africaines, n° 186, 2007).
L’idée est simple et tombe sous le sens, pour peu qu’on fasse un effort de bon-sens : une grande puissance coloniale comme la France ne travaille pas son image impériale depuis parfois deux siècles ou plus sans que celle-ci n’ait laissé des traces. L’importation du sucre des Antilles et plus tard celle des ananas de Côte d’Ivoire, la part prise, depuis le retour des harkis, par les merguez dans les fêtes populaires sont des signes concrets que l’empire a exercé son influence au moins sur la consommation quasi quotidienne des Français de France. Autre exemple peut-être plus sérieux : la décolonisation a mis au chômage technique un très grand nombre d’administrateurs coloniaux. Ceux-ci, fonctionnaires, ont évidemment été réinsérés dans la fonction publique métropolitaine. Un certain nombre sont repartis comme coopérants techniques, influant grandement la politique française de coopération tant au Ministère de la coopération qu’outre mer. Mais d’autres ont choisi la carrière préfectorale où ils ont bénéficié d’un accès prioritaire ; ils sont devenus, le nombre est loin d’être négligeable, fonctionnaires d’autorité en France. Quand André Malraux a créé son Ministère de la Culture, faute d’autres candidats, il a eu l’idée assez géniale d’en recruter une soixantaine pour travailler avec lui : comment leur formation et leur culture coloniales ont-elles interféré avec leur carrière et leurs méthodes ultérieures ? Quelles en furent les implications dans la conduite des affaires françaises ? C’est à ce thème, entre autres, que s’est intéressé Lebovics, qui rappelle que le livre de souvenirs qu’en a tiré Biasini s’intitule De l’Afrique au Louvre. Cela suffit à justifier d’étudier la façon dont notre culture est la résultante, entre autres, de notre histoire coloniale.
Quant à la fracture coloniale, autre bouteille à l’encre des historiens, je ne vois vraiment pas pourquoi le concept serait à rejeter sous prétexte qu’il a été lancé par une équipe médiatisée. On lui a reproché d’être un concept confus ou « simpliste » : c’est donc à nous de le corriger. Là encore, je partirai d’un constat de bon-sens : on observe effectivement à propos du fait colonial à une fracture (dans le sens simple de fêlure, de brisure) au sein de la société française non seulement entre Français de bord politique différent, mais aussi entre chercheurs. Nous, historiens, qui revendiquons un regard froid et critique, nous nous étripons entre nous sur la question coloniale avec plus de passion que de bon sens : essayons de comprendre pourquoi. Après tout, le concept de fracture n’est ni plus simpliste ni plus confus que n’importe quel autre : les spécialistes continuent de disserter sur des termes tout aussi schématiquement compris par certains bien que reconnus complexes par d’autres : l’ethnie, l’identité, lamémoire. Pourquoi pas la fracture, dont on s’apercevra bien sûr que, comme les autres, ce n’est pas un singulier (1) ? J’ai, je l’avoue, bien aimé l’essai d’approche qu’en annonce l’introduction de l’ouvrage exploratoire publié sous ce titre :
« Ce concept voudrait à la fois signifier la tension et les effets de la postcolonialité : il recouvre des réalités multiples et des situations hétérogènes […]. Chacun des contributeurs […] tente d’en appréhender une facette, une conséquence, une partie, une dimension mythologique ». Il s’agit donc de commencer à explorer à la fois une idée et un fait : que la société française, pour des raisons qu’il importe de préciser, est aujourd’hui profondément divisée sur la façon de considérer l’histoire coloniale. Quoi de plus excitant pour un chercheur que de se mettre à travailler sur un processus encore mal compris parce que insuffisamment reconnu et étudié ?
Enfin je prendrai un troisième exemple, dans un autre registre, où je suis, je l’avoue, un peu en désaccord avec la position de Gérard Noiriel, que je comprends fort bien et dont j’approuve les inquiétudes, sans vraiment les partager : à savoir que le fait que travailler sur le phénomène à la fois récurrent et nouveau du racisme – apparemment en train de fortement se réactiver dans la société française - risque de faire oublier un des fondements aujourd’hui en passe d’être exagérément négligé par les historiens : celui des rapports sociaux. C’est vrai qu’un courant américain solide critique sérieusement les théories postcoloniales en arguant que, en mettant essentiellement l’accent sur les représentations, elles sont anti-marxistes. Et pour nombre d’entre eux c’est juste. C’est aussi que les penseurs Américains sont très binaires. Avec eux, il faut toujours choisir entre deux théories, et si l‘on prend l’une, du même coup il faut rejeter l’autre. Je trouve cette attitude compréhensible pour un philosophe, mais peu recevable pour un historien. Nous sommes, je l’ai déjà dit, des pragmatiques, même si certains d’entre nous s’affirment théoriciens. Tout bon outil est à prendre, mais ce n’est pas pour cela que je vais tout accepter d’un bloc. Par exemple, j’ai trouvé en son temps (les années 1960-70), et j’étais loin d’être la seule, que le concept de Mode de production s’avérait efficace pour analyser les composantes d’une société historique, à condition évidemment de la remettre au goût du jour, on dirait aujourd’hui système social, comme l’a proposé Guy Bois, plutôt que mode de production, soit. Cela ne veut pas dire que je trouve tout ce qu’a écrit Marx admirable, ni utilisable par l’historien. Ceci dit, laquestion sociale demeure effectivement centrale, mais on a désormais à l’articuler à la question des discriminations contemporaines et de leur formation historique. Certes on peut discuter sur le rôle qu’aurait ou non joué la colonisation dans l’évolution du racisme en France. Il y a là peut-être une question de génération, entre ceux qui discutent du racisme essentiellement sous sa forme culturelle (comme est le racisme maghrébin, qui ne repose pas sur la couleur même si quelque peu sur le faciès), comme le fait par exemple Emmanuelle Saada, et ceux qui ont l’expérience du racisme de couleur, soit parce qu’ils sont noirs, soit parce qu’ils ont vécu le racisme sinon colonial, du moins immédiatement postérieure aux indépendances. Pour avoir entendu abondamment parler, en Algérie, où j’ai séjourné plusieurs mois en 1960, de “casser du bougnoul” ou autres expressions du même genre –utilisées d’ailleurs aussi en France à l’époque-, et pour avoir vécu à partir de 1965, la première année où j’ai mis le pied en Afrique noire, le racisme anti-noir viscéral exprimé encore avec candeur par les “post colons” vivant au Gabon ou en Côte d’Ivoire, il m’est impossible de penser que traces n’en ont pas résulté, même si les générations actuelles de jeunes historiens spécialistes le nient instinctivement par conviction plus que par lucidité. Il y a là un héritage collectif culturel lourd. Je sais que je joue là sur une corde sensible : le témoignage mémoriel contre l’histoire. Mais je prétends qu’en l’occurrence il s’agit pour l’historien d’une source comme une autre, et que d’un passé aussi récent on ne peut faire table rase. Et puis, le moindre séjour en pays de France noire, comme en Martinique récemment, suffit à démontrer qu’il n’y a pas à finasser avec le concept de racisme. Là-bas, on vit dedans, c’est de l’histoire immédiate comme l’est aussi devenu la question de l’esclavage, très présent dans les mémoires. Il faut absolument l’aborder de front, ce que font d’ailleurs par force tous les Français noirs de France, comme l’expliquent si justement Didier et Eric Fassin dans l’introduction à leur ouvrage collectif que je vous recommande vivement : De la question sociale à la question raciale, paru en 2006 : « la question sociale est aussi une question raciale », tout comme « la question raciale est aussi une question sociale ». On a beaucoup glosé sur un mouvement politique comme celui des « Indigènes de la République », rejeté par les intellectuels comme non conforme à la réalité historique. N’empêche que si les Codes de l’indigénat réglementant la vie des sujets réputés inférieurs aux colonies, en Afrique ou ailleurs, n’avaient pas existé, le terme n’en aurait pas été repris. Rien que ce lien est à étudier en tant que tel.
Bref, le racisme est plus que jamais à l’ordre du jour en France aujourd’hui, c’est donc le devoir citoyen de l’historien que d’en produire l’histoire la plus précise possible.


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Notes :

(1) Cf. F. Cooper, Colonialism in question : theory, knowledge, history, Berkeley, University of California Press, 2005.

Réponse à Daniel Lefeuvre par Catherine Coquery-Vidrovitch


Dans un article publié dans le Figaro Magazine du 30 juin 2007 (L’identité nationale et la République), Daniel Lefeuvre s’insurge contre une pétition d’universitaires qui dénonce la dénomination du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, parce que « l’identité nationale constitue, aujourd’hui, une synthèse du pluralisme et de la diversité des populations et ne saurait être fixée dans le périmètre d’un ministère. »
Je ne comprends pas pourquoi un historien se rebelle contre cet énoncé qui constate un fait historique simple : « l’identité nationale » est plurielle, car elle résulte d’un pluralisme d’influences qui se sont cumulées pour donner, à chaque moment, à l‘identité nationale une configuration chaque fois plurielle et toujours en évolution, comme le confirme la citation de Fernand Braudel qu’il cite : une « nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique », et comme il le dit lui-même « l’identité nationale est un produit historique, c’est-à-dire une réalité construite par l’histoire et ancrée dans l’histoire. »
Mais que je sache, l’histoire ne s’arrête pas aujourd’hui ou hier, et encore moins avant-hier… Heureusement que la nation est sensible à l’air du temps, sinon les femmes ne voteraient toujours pas et Rachida Dati ne serait pas ministre ! Or l’héritage culturel (en partie maghrébin) de Rachida Dati, qu’elle le veuille ou non - et s’en soucie ou non d’ailleurs, là n’est pas le problème -, fait partie de notre héritage collectif tout simplement parce qu’elle est française (qu’elle a la nationalité française), alors que les Gaulois ne font pas partie du sien, d’héritage, sinon par héritage de famille recomposée…

Refuser de figer donc aujourd’hui ce qu’est l’identité nationale dans un ministère qui du même coup fige les immigrants pour l’éternité (jusqu’à combien de générations ?), c’est a-historique, c’est donc absurde – ou du moins terriblement conjoncturel -.


Lefeuvre a raison sur beaucoup de points. Ainsi l’Etat français a fait beaucoup pour la nation française, et d’abord en fixant les règles de la nationalité (mais que je sache la loi ne s’est pas arrêtée une fois pour toutes en 1889 car la définition de la nationalité aussi a assez souvent changé depuis). Définir la nationalité, là est la tâche de l’Etat, de même que d’en propager les implications par l’éducation etc., bref tout ce que Lefeuvre décrit. Ainsi, il est légitime que l’Etat veille, comme il l’écrit, à « entraîner l’acceptation de normes et de règles qui s’imposent à tous, aux « vieux » Français, comme au nouveaux et à ceux qui aspirent à le devenir ».
Mais si le politique a tous les droits sur la nationalité, il n’a pas à définir l’identité qui elle, change en permanence : comment définir une fois pour toutes ce qui est en constant devenir ? C’est absurde. C’est le travail du chercheur en sciences sociales, du sociologue sans doute, du socio-historien dirait Gérard Noiriel, mais pas du juriste ni du politique, et encore moins du fonctionnaire d’autorité.
A partir de là, comme il est coutumier, Lefeuvre fabrique un adversaire imaginaire, qui voudrait « abandonner l’universalisme républicain au profit d’une République de la cohabitation, du voisinage entre communautés, chacune disposant de ses valeurs, de ses normes, de son droit et de ses représentants. » Mais sur quoi repose cette accusation, sinon sur son imagination, puisqu’il reconnaît lui-même qu’il ne peut la trouver dans le texte incriminé et ce qu’il appelle « le vague de sa formulation » ?

Enfin, dernière remarque : « la fierté d’être français » ne veut strictement rien dire (pas plus que ceux qu’il accuse d’être fiers d’être Bretons, maghrébins ou que sais-je). A tout prendre c’est l’inverse qui a un sens : « rendre la France fière de moi ». En 1940, heureusement que De Gaulle n’était pas fier d’être Français, c’est bien pourquoi la France est si fière de lui… Car je n’ai pas à être fière ou pas, globalement, de mon pays plutôt que d’un autre : je suis satisfaite, et heureuse d’être française, mais aurais-je à être plus fière qu’un Grec, un Suédois ou un Béninois d’avoir sa nationalité ? Je ne donne pas à mon pays un certificat de perfection, je ne suis fière ni des anti-dreyfusards, ni des acteurs du gouvernement de Vichy, ni de certaines atrocités des révolutionnaires de 1793, ni de la passivité d’une grande masse de citoyens chaque fois que des horreurs de ce genre ont aussi eu lieu dans mon pays et sous la responsabilité de mes concitoyens de l’époque. Donc « être fier d’être français », cela ne veut strictement rien dire, et un historien se devrait d’éviter une telle banalité.


Catherine Coquery-Vidrovitch
Professeure émérite, Histoire de l’Afrique,
Université Paris-Diderot

dimanche 8 juillet 2007

Conférence du CVUH du 26 avril 2007 Enseigner l’histoire des traites négrières, de l’esclavage, des résistances et des abolitions par Eric Mesnard


1- Interroger la place de l’esclavage colonial dans l’histoire nationale.
Le « silence » sur l’histoire de l’esclavage colonial et sur les révoltes des esclaves pour leur liberté est ancien. Il remonte à l’instauration de la République et aux débats du 19ème siècle sur la définition de la Nation française (1). De Jules Michelet à Pierre Nora, l’histoire de France est réduite au territoire hexagonal et à sa population blanche. Le récit national français tel qu’il a été élaboré sous la 3ème République a cherché à marginaliser, voire à effacer, tout ce qui pouvait ternir l’image d’une France unie et généreuse. Alors que les historiens avaient le pouvoir de construire et de diffuser le « mythe national », aucun descendant d’esclave n’avait la légitimité de le contester : la vie et les résistances des esclaves ne furent pas intégrées à la geste nationale. Seuls furent mis en avant les abolitionnistes. Toutefois, les abolitions ne furent pas présentées comme un moment central du récit historique national. Elles sont signalées, mais on ne s’y attarde pas : ainsi sont passés sous silence le soulèvement des esclaves qui causa la première abolition de l’esclavage à Saint-Domingue en 1793 (cette décision fut à l’origine du vote par la Convention en février 1794 du décret d’abolition pour toutes les colonies françaises), et les conditions ainsi que les effets de l’abolition de 1848 qui attribua la citoyenneté aux « nouveaux libres ». Les élites locales ont participé, dans les « vieilles » colonies à ce silence en gommant toute référence au passé esclavagiste et en affirmant leur adhésion aux principes républicains.
Silence ne signifie, toutefois pas oubli, car l’esclavage est demeuré présent dans les contes, les chants et les récits, mais cette culture populaire des colonisés ne trouva pas sa place dans les discours officiels qui dressaient le portrait d’un citoyen français sans sexe et sans classe : ni femme, ni ouvrier n’y avaient droit à la reconnaissance, alors les esclaves…
Les historiens qui ont travaillé sur cette histoire sont restés isolés et la transmission de ce savoir historique a été rendue difficile par l’absence de centres de recherche et la grande rareté des cours consacrés à ces questions dans les Universités françaises.
Des publications récentes et de qualité ne manquent pas. Toutefois, la prise en compte de ce chapitre par les ouvrages de synthèse qui influent le plus sur l’information des étudiants et des enseignants demeure insuffisante, voire inexistante. Ce qu’a écrit Yves Bénot à propos de la période révolutionnaire peut être élargi à l’ensemble de l’historiographie française : l’histoire de l’esclavage et des résistances à l’esclavage n’est qu’un à côté secondaire de la « grande histoire » : « La thèse de l’influence inconsciente du climat impérialiste n’est pas entièrement satisfaisante … Il y aurait donc un autre facteur non négligeable, le poids des habitudes, une certaine force d’inertie des idées – ou des absences d’idées – acquises. » (2).
Quelques précisions liminaires :
- Il est nécessaire d’étudier, à la fois ensemble et distinctement la traite et l’esclavage, car ils sont interdépendants mais ont une chronologie différente. La traite ne peut pas se comprendre sans référence à l’histoire maritime, coloniale, commerciale et financière. Le schéma du commerce triangulaire est facilement mémorisable, mais tend à réduire le trafic au seul espace atlantique, alors qu’il concerne aussi l’Océan Indien. De plus, il masque les conséquences de ce système sur les sociétés africaines dont le rôle ne se limita pas à la fourniture de la « marchandise » humaine. Ce commerce qui concerne de multiples territoires renvoie à une mondialisation des échanges qui a duré plusieurs siècles et dont les conséquences sont encore perceptibles. Il a mis en relation des sociétés aux structures politiques, économiques et culturelles différentes. Il a créé des zones de contacts et de conflits et des interactions complexes entre les métropoles européennes et les colonies esclavagistes.
- Les témoignages directs émanant des esclaves sont rares et tardifs. Les premiers témoignages écrits, dont le plus connu est celui d’Olaudah Equiano, datent de la fin du 18ème siècle. La plupart de ces textes, comme celui de Mary Prince, ont été rédigés par des abolitionnistes qui ont comme intention, non pas de restituer l’expérience intime de l’esclave, mais de susciter l’indignation du lecteur européen. Après les abolitions du 19ème siècle, des centaines de milliers d’anciens esclaves sont morts sans que personne ne se soucie de recueillir leurs récits. Ce « silence » des archives n’est pas propre à l’esclavage, car les dominés n’ont eu qu’exceptionnellement accès à la possibilité d’exprimer par écrit leur vision du monde. Il reste, cependant, beaucoup à apprendre sur la traite et l’esclavage, car l’étude des traces orales et écrites est loin d’être achevée, l’analyse des documents iconographiques et la recherche archéologique commencent à peine.

- Il n’existe pas une mémoire, mais des mémoires de la traite et de l’esclavage. Ces mémoires sont fragmentaires et géographiquement dispersées. Elles se sont élaborées différemment aux Antilles, en Guyane, en Afrique, à Madagascar, à la Réunion et en France hexagonale. (3)


2- Quelques réflexions pour contribuer à l’enseignement de l’histoire de la traite, de l’esclavage, des résistances et des abolitions dans les colonies françaises.
A- Permettre une nouvelle définition des repères historiques et du « panthéon scolaire »
Les programmes d’histoire ne peuvent plus reproduire la transmission du « mythe national » tel qu’il a été élaboré par les historiens et les pédagogues du 19ème siècle. Depuis les années soixante, l’élaboration d’une histoire scolaire qui s’ouvre sur l’Europe et sur le Monde, a transformé cet enseignement dans son contenu et ses méthodes. Toutefois, des points cruciaux pour la compréhension du monde contemporain n’ont pas encore trouvé leur place, à part entière, dans les programmes d’histoire (4).
La réflexion critique sur les objectifs de l’enseignement de l’histoire amène à s’interroger sur la signification du « panthéon scolaire ». Les documents d’application des programmes d’histoire destinés aux élèves du cycle 3 publiés en 2002 ont redéfini les critères de sélection, renouvelé la liste des « personnages majeurs » et l’ont accompagnée de « groupes significatifs » parmi lesquels « les esclaves d’une plantation ». Ainsi le maître continuera-t-il à enseigner à ses élèves l’absolutisme de Louis XIV et la biographie de Napoléon Bonaparte, mais ne devrait plus passer sous silence la condition des esclaves africains déportés dans les colonies européennes d’Amérique. Pensera-t-il alors à expliquer, comme il le fait pour la révocation de l’édit de Nantes, la signification du Code noir promulgué la même année ? Evoquera t-il les conséquences du rétablissement de l’esclavage en 1802 ?
B- Mener une réflexion sur les finalités de notre enseignement et sur nos responsabilités pédagogiques
L’enseignant qui prépare une leçon sur l’histoire de la traite et de l’esclavage est confronté à une série de questions auxquelles il s’efforcera de répondre :
- Comment prendre en compte les relations complexes et souvent conflictuelles entre la mémoire dont certains de nos élèves peuvent être porteurs et l’enseignement de l’histoire ?
- Comment donner du sens aux informations que reçoivent nos élèves (à l’école, par les medias, dans la famille) ?
- Que montrer ou … ne pas montrer ? Comment aborder des textes qui défendent des thèses racistes ou des images qui donnent une vision dégradante de l’être humain ? « Censurer » n’équivaut-il pas à proposer une vision édulcorée, voire mensongère, de la réalité ? Montrer n’entraine t-il pas le risque de choquer la conscience et la sensibilité des élèves ?
- Quel équilibre trouver entre une nécessaire mise à distance et une évocation formelle qui cantonnerait cette histoire à un segment sur une frise chronologique ? Comment transmettre les nombres des pertes humaines sans les réduire à un « bilan comptable » ? Comment incarner la terrifiante froideur de ces nombres exprimés en centaines de milliers ou en millions dont la réalité demeure inconcevable, même pour des adultes ?
Cette « nouvelle » question introduite dans les programmes ne pourra à moyen terme être pertinemment prise en compte par l’ensemble des maîtres du cycle 3 qu’à condition d’être accompagnée d’une réelle prise en compte dans les cursus universitaires et dans la formation initiale et continue des enseignants (5).
C- Penser la place dans notre enseignement de l’histoire des traites, de l’esclavage dans les colonies européennes, des résistances et des abolitions.
Nombre d’ouvrages continuent à n’évoquer l’esclavage des Noirs dans les colonies françaises qu’au moment de son abolition ce qui permet de mettre en avant la place des abolitionnistes, dont Victor Schœlcher, mais a pour effet de masquer les réalités des sociétés esclavagistes et le rôle des esclaves dans les diverses formes de résistance à l’esclavagisme.
Donner sens à cette histoire qui dure du 16ème au 19ème siècle et est un fait majeur non seulement pour comprendre l’histoire nationale, mais aussi l’histoire de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique suppose une réflexion historique et pédagogique qui permettra de définir une programmation des leçons cohérente avec les programmes d’enseignement.
La mise en place de la traite négrière européenne pourra être étudiée lors du chapitre consacré au « Temps des Découvertes ». Ceci permettra d’évoquer l’exploration des côtes africaines et l’insertion des navigateurs portugais, puis des autres puissances européennes, dans un trafic négrier qui s’étendit dès le début du 16ème siècle vers les terres américaines récemment conquises où les populations indiennes furent asservies et massacrées (6). Ce chapitre permettra de contribuer à la culture géographique des élèves (nouvelles représentations de la Terre, localisation des lieux de la traite et des colonies des Antilles et de l’Océan Indien dont quatre sont devenues des D.O.M.).
L’étude des colonies européennes à esclaves pourra s’insérer dans la leçon consacrée au « mouvement des Lumières » et aux évolutions de la société à la fin de l’Ancien Régime perme.
Cette leçon permettra aux élèves d’étudier :
- l’importance de la traite et du commerce colonial dans l’essor économique de l’Europe atlantique avec, notamment, comme exemple, la croissance des villes portuaires ;
- l’aspect massif et organisé de la déportation de populations africaines de diverses origines géographiques et culturelles ;
- les conditions d’existence des esclaves « pour » lesquels a été rédigé en 1685, sous le règne de Louis XIV, le Code Noir ;
- le fonctionnement des plantations et les grandes lignes de l’organisation des sociétés esclavagistes ;
- les formes de résistance des esclaves ;
- les dénonciations par des « intellectuels » européens des méfaits de la traite et de l’esclavage malgré l’influence de ceux qui en tiraient profit.
La leçon sur « la Révolution française et le premier Empire » amènera à prendre en compte :
- des combats politiques menés par les abolitionnistes (Condorcet, abbé Grégoire …) et l’évocation de l’abolition de l’esclavage par la Convention en février 1794 ;
- des événements révolutionnaires qui ont marqué l’histoire des Antilles, notamment, l’indépendance d’Haïti en 1804 ;
- du rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte et de l’échec du soulèvement anti-esclavagiste à la Guadeloupe.
L’acquisition de ces connaissances aidera les élèves à mieux comprendre le contexte de l’abolition de l’esclavage en 1848 par la Deuxième République, l’œuvre de Victor Schœlcher et les conséquences sur les sociétés antillaises, guyanaise et réunionnaise des conditions dans lesquelles l’esclavage a été aboli (propriété de la terre, « dédommagement » des anciens « maîtres » …).
D- Permettre la compréhension de documents historiques et développer l’esprit critique
L’actualité des enjeux civiques rend d’autant plus nécessaires la précision et la rigueur de notre enseignement pour contrecarrer la confusion entretenue par la « concurrence des mémoires ».
L’information scientifique apportée par la leçon et l’étude de dossiers documentaires contribueront à l’instruction et à la formation de l’esprit critique des élèves. Comme lors de tout cours d’histoire,l’identification précise des sources documentaires (nature du texte ou de l’image ? date de production et contexte ? auteur ? destinataire ?...) est d’autant plus formatrice qu’elle aide à comprendre :
- l’importance du point de vue de celui qui tient la plume (ou le pinceau)
- la différence entre un témoignage, un roman historique, le texte d’un historien ou entre un reportage, le filmage de sources documentaires, une reconstitution historique ou une œuvre de fiction cinématographique.
Toutefois, l’élève n’est pas un historien : le choix des documents, le questionnement et les conclusions tirées relèvent de la responsabilité pédagogique de l’enseignant, car tous les énoncés ne se valent pas. Il y a des affirmations fausses et d’autres qui sont exactes.
L’initiation à la critique documentaire permise par la leçon d’histoire amène l’élève à s’interroger sur le sens du choix de tel mot ou de telle image pour justifier ou pour condamner la traite et l’esclavage. Elle le rend sensible à la polysémie de mots comme celui de liberté qui n’avait pas le même sens pour le négrier et pour celui qui était enchaîné à fond de cale. Elle incite le futur citoyen à la défiance à l’encontre de l’euphémisation des pratiques criminelles déjà largement pratiquée par la « communication » (c’est-à-dire la propagande) du lobby négrier qui se fit, face aux critiques, le défenseur de la « liberté du commerce », de la « prospérité des ports, des colonies et de la France » grâce au maintien du trafic du « bois d’ébène » et des « pièces d’Inde » sauvées de la « barbarie africaine ».
E- Promouvoir les approches interdisciplinaires et la transversalité des apprentissages
Dans le prolongement du chapitre consacré au « temps des découvertes », le cours sur l’histoire de la traite et de l’esclavage gagnera à être mis explicitement en relation avec le programme de géographie. Comment, en effet, comprendre la complexité du peuplement américain et la diversité de ses populations sans les mettre en relation avec ces pages d’histoire ? Quant à la connaissance de l’histoire et de la géographie des sociétés africaines, elle demeure un des « angles morts » de nos programmes. Cette ignorance contribue à la persistance des stéréotypes racistes hérités de la traite négrière et de la colonisation (7).
Du 16e siècle à nos jours, la déportation et l’esclavage des Noirs sont à l’origine de textes littéraires dont certains sont des classiques de la culture scolaire. La lecture de romans, de témoignages et de récits de voyages, ainsi que la musique tout en enrichissant la culture des élèves, les amèneront à percevoir la diversité des expressions culturelles. De même, tableauxgravuresfilms etphotographies contribueront à former leur regard.

L’éducation civique sera l’occasion de prendre en compte les questions inévitables sur les formes contemporaines d’asservissement, dont le travail des enfants est une des manifestations les plus sensibles. Les réalités de l’exploitation et de la servitude sont multiples, mais de légaux et officiellement pratiqués, la traite des êtres humains et de l’esclavage sont devenus illégaux et clandestins. Cette précision n’est pas anodine, car elle ouvre sur une réflexion essentielle sur le rôle de la loi, mais aussi sur ses limites lorsque des Etats, malgré les conventions internationales, ne se donnent pas les moyens de la faire respecter.


Eric Mesnard, formateur à l’IUFM de l’Académie de Créteil


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Notes :

(1) Myriam Cottias, « Le silence de la Nation. Les « Vieilles colonies » comme lieu de définition des dogmes républicains (1848-1905) », Outre-Mers. Revue d’Histoire, 2003.
Françoise Vergès, La mémoire enchaînée Questions sur l’esclavage, Albin Michel, 2006.
(2) Yves Bénot, La Révolution française et la fin des colonies, éd. La Découverte, 1988.
(3) Françoise Vergès, La mémoire enchaînée. Questions sur l’esclavageop.cit.
(4) Pour plus de précisions à propos des programmes et des manuels :
Eric Mesnard, « Quelques réflexions pour contribuer à l’enseignement de l’histoire de la traite et de l’esclavage des Noirs dans les colonies françaises » (pp. 131 et sq.) in La colonisation, la loi et l’histoire, sous la direction de Claude Liauzu et Gilles Manceron, éd. Syllepse, 2006.
Aude Désiré, Eric Mesnard, Histoire des traites négrières et de l’esclavage, Sceren-CRDP, à paraître en septembre 2007.
(5) La récente initiative du CNRS (Centre de Recherches sur les Esclavages. Acteurs, systèmes, représentations) de créer un site destiné aux chercheurs et aux enseignants va dans ce sens …http://ocmceasil.free.fr/CNRS/index.html
(6) Les premiers chapitres du livre d’Hugh Thomas traduit de l’anglais par G. Villeneuve, La traite des Noirs 1440-1870, coll. Bouquins, Robert Laffont, offrent à ce propos une remarquable mise au point historique.
(7) William B. Cohen, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs (1530-1880), Gallimard, 1981.
Hugh Honor, L’image du Noir dans l’art occidental de la Révolution américaine à la Première Guerre mondiale, Gallimard, 1989.
Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, De l’indigène à l’immigré, Découverte Gallimard, 1998

samedi 7 juillet 2007

Adhérents du CVUH

Adhérents du Comité de vigilance :


Florence ALAZARD (Université de Tours)
Zined ALI-BENALI (Univerité de Paris 8)
Hedi ALI SAIDI
Marie-Christine ALLART (Université de Lille 3)
Sylvie APRILE (Université de Tours)
Thierry APRILE (IUFM de Créteil)
Eric AUNOBLE (collège Pablo Neruda, Grigny)
Magali BAILLEUR-VAUTRIN
Charlotte BARATIN
Marion BATARD
Dominique BAUDREU
Jacqueline BAYON (Université de Saint-Etienne)
Robert BENOIT (CPGE, Aix-en-Provence)
Damien BESNARD (étudiant, Université de Paris 4)
Christian BETHUNE (professeur de philosophie en lycée - Chateaugay)
Hugo BILLARD
Christine BLET
Frédéric BOCCARA (IDHE-CNRS)
Pierre BOILLEY (Université de Paris 1)
Jean-Luc BONNIOL (Université d’Aix-Marseille 3)
Mathieu BOUCHARD (vacataire Université Paris 1)
Raphaëlle BRANCHE (Université de Paris 1)
Patrice BRIDE (collège, Bagneux)
Catherine BRUANT (Ecole d’Architecture de Versailles)
Michel CAHEN (chercheur CNRS, directeur adjoint Centre d’étude d’Afrique noire de l’IEP de Bordeaux)
Alice CARDOSO (lycée Flora Tristan, Noisy le Grand)
Jean-Claude CARON (Université de Clermont-Ferrand 2)
Kamel CHABANE
Vincent CHAMBARLHAC (enseignant du secondaire/Université de Bourgogne)
Martine CHAPIN (professeur de philosophie, Douarnenez)
Jean-Luc CHAPPEY
Aurore CHERY (doctorante Lyon 3)
Jean CHESNEAUX † (Université de Paris 7)
Jean-Pierre CHRETIEN (EHESS)
Suzanne CITRON
Michèle CLAUSE (enseignante en retraite, Nancy)
Laurent COLANTONIO
Edouard COLIN
Annie COLLOVALD (Université de Paris 10)
Sonia COMBE (BDIC)
Dominique COMELLI (IUFM de Papeete)
Anna CONSONNI
Morwenna COQUELIN (étudiante EHESS)
Natacha COQUERY (Université de Tours)
Catherine COQUERY-VIDROVITCH (Université de Paris 7)
Sébastien COTE
Myriam COTTIAS (CNRS, Université des Antilles et de la Guyane)
Marianne DEBOUZY (Université de Paris 8)
Laurence DE COCK PIERREPONT (lycée Joliot Curie Nanterre/IUFM Versailles)
Jean-Philippe DEDIEU (EHESS)
Nelcya DELANOE (Université de Paris 10)
Gilles DELLA VEDOVA
Marcel DETIENNE (Johns Hopkins University, Etats-Unis)
Marcel DORIGNY (Université de Paris 8)
Mina Kleiche DRAY
Alain DUBOSCLARD (lycée français de Zurich)
Jean-Numa DUCANGE (Université de Rouen)
Blaise DUFAL (moniteur Université de Marne-le-Vallée)
Nicole EDELMAN (Université de Paris 10)
Marie ESCOFFIER
Houssam EL ASSIMI (étudiant)
Benoît FALAIZE
Irène FAVIER
Caroline FAYOLLE
Elise FELLER (doctorante en histoire)
Jérémie FOA (ATER Université de Clermont 2)
Françoise FORGERIT Arnaud FOSSIER (doctorant, EHESS)
Christophe FOUQUERE
Agnès FRAYSSE (professeur d’histoire géographie)
Alexandra GALLO (Université d’Aix-Marseille)
Delphine GALONNIER
Jocelyne GEORGE (en retraite)
Daniel GILBERT
Farida GILLOT (étudiante IUFM)
Michel GIRAUD (CNRS)
Odile GOERG (Paris 7)
Michela GRIBINSKI (CPGE, Paris)
Simon GRIVET (professeur d’histoire-géographie)
Marianne GUÉRIN (CPGE, Grenoble)
Jacques GUILHAUMOU (MMSH, Aix-en-Provence)
Salama HADNI (responsable de l’association "Histoire du monde, des hommes et des idées")
Charles HEIMBERG (IFMES, Genève)
Louis HINCKER (Université de Valenciennes)
Thierry HOHL
Ernesto IZZO (étudiant en histoire, Bordeaux 3)
Pietro Antonio IZZO (Architecte et cinéaste, Bordeaux)
Anne JOLLET (Université de Poitiers)
Claire JUDDE de LARIVIERE (Université de Toulouse 2)
Anne KAZAZIAN (Lycée français du Caire)
Yann KINDO (professeur d’histoire géographie)
Mina KLEICHE DRAY (Université de Mexico - UNAM)
Sandrine KOTT (Université de Genève)
Anne KUBLER (professeur d’histoire géographie)
Samuel KUHN (Ater, Grenoble II)
Pierre LAMBERT (professeur d’histoire géographie)
Elisabeth LANDI (lycée de Bellevue, Fort-de-France)
Mathilde LARRERE (Université Paris 13)
Hélène LATGER (lycée Dessaignes, Blois)
Yves LEBLANC (professeur d’histoire-géographie)
Catherine LEFRANÇOIS (professeur CPGE, Paris)
Patricia LEGRIS (Université de Paris 1)
Anne-Marie LELORRAIN (IPR - enseignement agricole)
Daniel LETOUZEY (secondaire)
Olivier LE TROCQUER (professeur de lycée, Paris)
Thierry LEVASSEUR
Claude LIAUZU † (Université de Paris 7)
Lîem-Khé LIEM-LUGUERN (professeur d’histoire-géographie, doctorante EHESS)
Amanda LONCINI
Nadine LOPES
Thomas LOUE (Université de Strasbourg 2)
Fanny MADELINE
Brigitte MAGY (professeur d’histoire-géographie)
Gilles MANCERON (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines)
Philippe MARTEL (Université Paul Valéry)
Guillaume MAZEAU
Paul-Alexis MELLET
Isabelle MERLE (Université de Provence)
Erwan MERRIEN (professeur au collège de Chateaugiron)
Eric MESNARD (IUFM, Créteil)
Boris MORALIA
Cécile MORIN
Bertrand MULLER (Université de Genève)
Jean-Pierre NETTER
Dimitri NICOLAÏDIS (Université de Paris 8)
Jean NICOLAS (Université de Paris 7)
Gérard NOIRIEL (EHESS)
Nicolas OFFENSTADT (Université de Paris 1)
Philippe OLIVERA (professeur en congé parental)
Stéphane PERRET (lycée André Maurois, Bischwiller)
Claude-Hélène PERROT (Université de Paris 1)
Laurent PETIT (professseur d’histoire-géographie, Millau)
Patrice PEVERI (Université de Paris 8)
Emmanuelle PICARD
David PLOUVIEZ (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines)
Clyde PLUMAUZILLE (IHRF, Paris 1)
Gilles PRADEAU
Jean-François PROST (secondaire)
Bernard PUDAL (Université de Paris 10)
Hélène PUISEUX (EPHE)
Judith RAINHORN (Université de Valenciennes)
Paule RAULT
Patricia RAZE
Frédéric REGENT (Université des Antilles et de la Guyane)
Sylvie REMY (professeur d’histoire géographie)
Carole REYNAUD-PALIGOT (professeur d’histoire-géographie en disponibilité)
Véronique RIEU (professeur d’histoire-géographie)
Michèle RIOT-SARCEY (Université de Paris 8)
Christine ROBIEN-SATO (Université de Tokyo)
Quentin ROCHET (Université Lyon 2)
Sophie ROUCHON
Annie ROUQUIER (IPR histoire-géographie honoraire)
Frédéric ROUSSEAU (Université de Montpellier 3)
Philippe RYGIEL (Université de Paris 1)
Emmanuelle SAADA (EHESS)
Hedi SAIDI (enseignant, Lille)
Dominique SANTELLI
Marie-Karine SCHAUB (Université de Paris 12)
Sébastien SCHICK
Pierre SCHILL (professeur d’histoire-géographie au lycée Jules Ferry à Montpellier)
Julie SENTIS (Université de Provence)
Pierre SERNA (Université de Paris 1)
Véronique SERVAT (professeur clg Montreuil, SNES)
Laure SMILOVICI
Christian SOLAND (lycée Toulouse-Lautrec, Vaucresson)
Eric SORIANO (Université de Montpellier)
Yann SOULIER (professeur d’histoire-géographie)
Marie-Albane de SUREMAIN
Marie-Christine TAVARES-VOLOVITCH (professeur d’histoire-géographie en retraite, attachée au CHEVS)
Emily TEYSSEDRE-JULLIAN
Magali THIREAU (professeur d’histoire-géographie, Paris)
Christophe THOMAS
Béatrice TOUCHELAY (Université de Paris 12)
François TOUZET
Enzo TRAVERSO (Université de Picardie)
Antoine VANNIERE (professeur d’histoire-géographie)
Christiane VERON (professeur d’histoire-géographie)
Jean VETTRAINO
Sophie WAHNICH (CNRS)
Jean-Marc WARSZAWSKI
Blaise WILFERT (ENS-Ulm)
Denis WORONOFF (Université de Paris 1)

mercredi 4 juillet 2007

Une vision africaine de l’histoire par Catherine Coquery-Vidrovitch


Les 21 et 22 juin 2007 a eu lieu à l’EHESS (Centre d’Etudes africaines) un colloque passionnant, organisé par Rémi Bazenguissa , MC à l’Université de Lille et membre du CEAF, sous l’égide de son directeur Michel Agier, sous un titre un peu abscons : « Les episteme africaines dans le monde. Trois lieux de production des connaissances sur le passé et le présent de l’Afrique ». Il s’est agi en fait de faire parler chaque fois, à partir des Etats-Unis, de l’Afrique et de la France, des intellectuels africains exerçant dans ces trois continents, pour qu’ils donnent successivement leur regard sur l’esclavage et la question raciale, la domination impérialiste et les résistances, et sur la réalité française de la situation coloniale à l’Afrique des banlieues.
La rencontre a été passionnante car elle a permis de mesurer à la fois les convergences intellectuelles, mais aussi les différences de regard évidentes entre chercheurs, disons, pour simplifier, du Nord et du Sud. Chaque session a en effet donné la parole à trois spécialistes africains et un spécialiste français, politiste ou anthropologue. Malheureusement l’historien de l’équipe française, Elikia Mbokolo, était déjà parti en mission au Congo, si bien que les commentaires ont péché par l’absence de l’histoire, ou plutôt du regard de l’historien sur l’histoire qui, elle, fut largement abordée. Un seul communicant historien : Mamadou Diouf, sénégalais professeur à l’université du Michigan. Cela a manqué, en particulier par le manque de prise en compte, de la part de chercheurs français présents, des travaux nombreux et nuancés sur l’histoire des résistances à la colonisation, et surtout sur la complexité très ancienne des rapports colonisateurs/colonisés, échanges autant que syncrétismes bien antérieurs à l’indépendance.
La confrontation a été fascinante du côté africain, démontrant la culture encyclopédique de nos partenaires, qui sont parfaitement au courant de tous ces travaux et de la littérature anglophone actuelle. D’où une certaine difficulté à échanger avec des collègues un peu enfermés dans le provincialisme à la française qui tend malheureusement à restreindre l’horizon, ce qui fait que les visions hexagonales ont quelque mal à se renouveler.
On retiendra, entre autres, l’avancée faite sur deux thèmes parmi d’autres : l’examen de la question de la race, et celle des études postcoloniales.
Sur le second point, il a été souligné les limites des réflexions actuelles qui tendent à délayer des apports pourtant indéniables, le tournant majeur ayant été les travaux novateurs d’Edward Said (Mamadou Diouf). La littérature anglo-saxonne est très abondante en ce domaine, et il en résulte qu’une condamnation globale ne signifie pas grand chose, tant les courants de recherche se sont diversifiés ; Il s’agit d’abord de bien les connaître pour en « faire son beurre ». Le point de vue de l’historien est que les outils d’investigation ainsi offerts sont efficaces et qu’il serait dommage de s’en priver, sans que cela signifie pour autant adhérer aveuglément à une « théorie » qui continue du côté français d’être fantasmée comme « unique ».
Le thème de la « race » a été surtout largement abordé par nos collègues africains, qui ne comprennent guère les réticences françaises à aborder le sujet de front tant il paraît évident au moins dès que l’on se réfère à la couleur. Après tout, c’est au XIXe siècle un Français qui a le premier théorisé sur la « race » (Gobineau). Certes, « être sombre » est une solidarité de surface. Ses fondements ne sont ni dans la nature ni dans la culture, compte tenu de l’extrême diversité d’origine d’un monde noir éclaté. Cette « solidarité » n’en a pas moins un fondement, la « cause de la libération noire » est une question de justice, compte tenu d’un « contrat racial » sous-jacent au « contrat social » : on a découvert que pour une très grande part la pauvreté est noire (aux Etats-Unis, en France). Il est donc absurde d’opposer l’un à l’autre. Ce qui a fait poser par le philosophe Bachir Diagne (Professeur à la NorthWestern) une question de fond, inversant les propos de la pensée occidentale. Celle-ci, à partir des Lumières, s’est développée dans l’indifférence relative des questions de race : et si cette indifférence n’en était pas une ? La pensée occidentale n’a t-elle pas eu précisément pour condition d’émergence son complexe de supériorité raciale, l’humain (dans la logique kantienne par exemple) étant implicitement, mais quasi par définition, un « adulte mâle blanc » ? Pourquoi passer sous silence cet élément constitutif ?
Ce qui se passe aujourd’hui, et qui échappe à la pensée occidentale, c’est que du côté noir, on sort des « identités collectives » pour mettre au centre du débat et du devenir l’individu : non plus ce que l’on est (what), mais qui l’on est (who). Désormais c’est l’individu qui doit s’inventer (ce que du côté occidental on a déjà fait depuis longtemps). Il s’agit de s’engager sur un plan de vie non encore constitué, susceptible de réécriture au gré des circonstances, construire l’éthique de vivre à sa manière sans que l’individu se retrouve pour autant prisonnier des identités collectives : ce n’est ni une question d’authenticité, ni une conception existentialiste de ce que l‘on doit ou devrait être ; mais on ne peut pas non plus éliminer ce contre quoi on se construit. D’où l’intérêt d’étudier en France, par exemple, le passage du « noir » au « black » (Rémy Bazenguissa).
Donc, également, ne pas éluder ce fait majeur : la fondation la plus solide de l’économie politique coloniale, ce fut la « race » (voir d’ailleurs sur ce thème les développements convaincants de Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie, Paris, La Découverte, 2007).
Bref, l’analyse de la « race » comme construction sociale est en retard ; car peut-être bien que « la race » est finie, mais « elle n’en finit pas de finir » , ce qui rend si difficile de sortir du racialisme sans rejeter l’identité raciale, de penser une action solidaire sans essentialisme.

Il y eut aussi une table ronde passionnante rendant compte des ressorts politiques des pratiques magiques en Afrique équatoriale (Gabon, Congo) qui apparaissent comme de purs produits de l’histoire complètement insérés dans la modernité (Patrice Yengo, Joseph Tonda).



On voit par ces quelques exemples tout l’intérêt de cette rencontre, qui a posé les problèmes, pour une fois, du « point de vue de l’autre ». Il était d’ailleurs réjouissant de constater, à plusieurs reprises, que l’on a vraiment eu, sur un certain nombre de points, des exposés marqués, d’un côté comme de l’autre (africain/français), par des aspects non contradictoires, mais incontestablement situés dans une perspective euro- ou afro-centrée.


Catherine Coquery-Vidrovitch
29 Juin 2007.