jeudi 9 avril 2009

A l’école de l’ « Ave Respublica » par Laurence De Cock


Dans sa lettre de mission diffusée le 7 avril dernier, M. Besson, nouveau ministre de l’identité nationale, de l’intégration, de l’immigration et du co-développement solidaire se voit chargé par le gouvernement « d’engager les actions permettant de valoriser les principes de la République et les valeurs fondamentales de notre communauté nationale, en luttant contre toutes les tentations de repli identitaire ou communautariste, en renforçant la place des emblèmes et symboles de la République, des langues, de son drapeau, de son hymne, des valeurs contenues dans la devise "Liberté, égalité, fraternité" et de la Marianne qui les incarne, partout où cela s’avère nécessaire, dans les écoles et les lieux publics » (1).
Que nous vaut donc cette surenchère qui s’apprête encore une fois à toucher nos écoles ?
Rappel : les programmes de l’école primaire 2008 révélaient déjà la crispation sur l’apprentissage de la liturgie républicaine dans leur retour à l’ « instruction civique et morale » venus se substituer à la pédagogie du « vivre ensemble ». Il s’agissait sans doute d’en finir avec l’idéologie bien-pensante post 68 comme l’a seriné Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale, lequel aimait d’ailleurs invoquer la figure tutélaire de Jules Ferry pour justifier les fondements de sa politique éducative à venir. Outre l’instrumentalisation politique déjà décryptée par le CVUH (2) à propos de la mobilisation tous azimut de ce personnage historique (3), on soulignera pour commencer que l’école républicaine depuis Jules Ferry n’a pas échappé miraculeusement au moteur de l’histoire, et que la sociologie des publics scolaires, ainsi que les fondements de ce que l’on nomme communément l’ « identité nationale » n’ont pas non plus vocation à rester figés dans une sorte de glaciation qui en empêcherait toute redéfinition. Suffit-il d’apprendre à un enfant de 7 ans à se lever sur la Marseillaise, à saluer le drapeau, à se courber devant le buste de Marianne et à ressasser mécaniquement l’ « Ave respublica » pour lui fournir les outils de sa socialisation politique ? Dans notre société façonnée par de nombreux héritages culturels, dans nos écoles peuplées d’enfants aux multiples visages, il faut être bien naïfs pour prétendre encore fabriquer de l’adhésion aveugle à une vulgate dont les principes assénés sont quotidiennement bafoués par les instigateurs même de cette réforme. Peu d’écoles en France ont en effet échappé à la logique de rendement du ministère de l’identité nationale qui (re)conduit des enfants vers un « chez eux » dont ils n’ont, pour beaucoup, jamais vu la moindre parcelle de paysage. On expliquera sans doute à leurs copains qu’ils n’honoraient pas suffisamment la République ces enfants : « fraternité » devaient-il pourtant apprendre à épeler…Faut-il donc qu’un régime se sente sous tension pour s’arquebouter à ce point sur des principes désormais vides de contenu au regard de leur traduction politique. Ce prêt à penser en kit risque fort de jeter le discrédit sur le potentiel émancipateur de ces valeurs républicaines. Car de quelle République parle-t-on au juste à travers cet usage nationalo-patriotique ? Celle de la première expérience révolutionnaire, La « sociale » de 1848, ou la IIIème République issue du compromis de Thiers, donc du détournement par les républicains modérés du mot pour l’élaboration du "national" ? l’opération de substitution a bien fonctionné, aidée en cela par une historiographie valorisant un « modèle républicain » quasi-transcendantal, consensuel, privé de toute conflictualité originelle, et purgé de ses dimensions sociales (4). Un pallier supplémentaire est franchi avec notre gouvernement et l’alliance à venir entre le ministère de l’identité nationale et celui de l’éducation ; la chimère république versus identité nationale n’est rien d’autre que le recouvrement par le mot de république d’un héritage de Maurice Barrès passé par la traduction politique du Front national et rendu politiquement correctpar le jeu électoral.
Si l’une des missions de l’école consiste à tisser de l’appartenance, il serait donc temps d’en finir avec cette vision prométhéenne d’un enseignement fondé sur l’illusion d’un conditionnement opérant de l’allégeance policée à des symboles. Il serait plus urgent et judicieux de travailler à l’acquisition d’une conscience critique préalable à toute citoyenneté véritablement libérée d’un code de bonne conduite identitaire imposé par une politique d’intégration discriminatoire qui ne dit pas son nom. Si tant est que le « communautarisme » existe autrement que comme une simple réaction momentanée à la stigmatisation que subissent régulièrement les « minorités visibles » de notre société ; si tant est que ce « communautarisme » ne soit pas qu’un épouvantail agité par simple volonté de légitimer une politique de crispation nationalo-identitaire, alors son désamorçage devra procéder d’une pédagogie de l’altérité qui viserait à rendre naturelle la co-présence des héritiers de multiples histoires, et non à vouloir naturaliser l’allogène. Osons donc enfin politiser réellement la question de l’école, interroger l’Universel républicain à l’aune du principe de réalité d’aujourd’hui, et faire de cette micro-société le laboratoire d’invention de la citoyenneté de demain.
Des mots, toujours des mots diront certains que les symboles rassurent. Mais l’école n’a-t-elle donc pas toujours été un outil d’intégration républicaine qu’il faut « sanctuariser » comme le rappelait récemment Nicolas Sarkozy ? Traduction : nécessité d’opposer à la demande sociale une fin de non recevoir afin d’assurer la prorogation d’un Universel qui fonctionnerait presque comme une donnée naturelle, a-historique, et figée dans une configuration élaborée lors de l’acte de naissance de l’école sous la IIIè République. Dans cette logique, l’école poursuivrait sa fonction quasi irénique de construction d’un espace commun au sein duquel les sujets seraient nécessairement privés de toute détermination empirique. Dans cet espace, l’Universel fonctionnerait comme une promesse d’émancipation de l’individu sous couvert d’une acceptation de normes garantes d’un consensus, et d’une forme d’homogénéité. Que les noirs deviennent blancs, que les femmes deviennent des hommes, et que les indigestes prennent la porte.
Postulons maintenant l’inverse, à savoir une nécessaire perméabilité de l’école aux débats de la société. Avec sa propre temporalité qui n’est pas celle de l’urgence médiatique, l’école se poserait alors comme le lieu d’intelligibilité des débats, voire des conflits, par une praxis de la mise à distance réflexive. Dans ce cas, l’Universel républicain perdrait sa capacité d’énonciation de normes immuables pour agir comme un champ ouvert d’antagonismes, ou, pour le dire autrement, un espace de conflictualités politiques suffisamment ouvert pour permettre à chaque subjectivité de s’affirmer sans trouver porte close. Dans cette logique, la révérence au buste, à l’hymne ou au drapeau ferait bien pâle figure à l’aune d’une véritable éducation à la diversité.
Laurence De Cock



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Notes :


(1) Voir l’intégralité de la lettre de mission au lien suivant :http://www.immigration.gouv.fr/article.php?id_article=753
(2) Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, http://cvuh.blogspot.com/
(3) Olivier Le Trocquer, « Jules Ferry » in Laurence De Cock et alii (dir), Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France, Agone, 2008
(4) Celui qui est précisément enseigné dans les programmes d’histoire du Secondaire

mercredi 1 avril 2009

La ronde des obstinés Depuis le 23 mars, place de grève de l’Hôtel de ville de Paris



Pourquoi le CVUH s’associe au mouvement de grève active dans les Universités et à la lutte contre le démantèlement du système éducatif en général ?
Depuis quelques mois se produisent en France, dans les Universités, lycées, collèges et école des formes de mobilisations inédites témoignant d’une inquiétude généralisée du monde enseignant face à la politique délétère du gouvernement qui s’échine à substituer à la logique éducative et émancipatrice du système éducatif un système basé sur la rentabilité économique et la compétitivité. Dans ce cadre, l’enseignement des sciences sociales et humaines qui vise à accompagner la formation d’une conscience critique chez les élèves et les étudiants se trouve gravement menacé. Nous sommes nombreux au CVUH à prendre part aux actions alternatives de protestation, et pensons que se joue aujourd’hui, à travers cette inventivité politique, le sort d’un des premiers usages publics de l’histoire : son enseignement. ]


Difficile de ne pas s’interroger sur la lutte que nous menons. Nous-mêmes ne connaissons pas son devenir. Cette forme de protestation n’est pas nouvelle ; elle s’est déjà exprimée contre l’intolérance, l’hypocrisie, la mauvaise foi et le mépris ; même si rarement une marche, jour et nuit, a réussi à empêcher une minorité de nantis de confisquer la production collective. Depuis les grèves du XIXe siècle, la résistance s’est souvent affirmée de cette manière, lancinante et pacifique : une ronde des obstinés. Aujourd’hui nous la jugeons à notre tour nécessaire. Nous, étudiants, enseignants, biattos de Paris 8 — rejoints par d’autres étudiants, enseignants chercheurs, d’autres mécontents —, luttons d’abord et avant tout pour conserver à tous nos étudiants, quelle que soit leur origine sociale, un accès égal au savoir, et protestons contre un gouvernement profondément dédaigneux de toute expression démocratique. Nous nous élevons contre les mesures ponctuelles que le gouvernement ose appeler réformes et refusons de contribuer, sous quelque forme que ce soit, au démantèlement de la formation de nos étudiants et à la transformation des universités en entreprises, c’est-à-dire en unités de production de savoirs uniquement « utiles » et professionnels. Les sciences humaines sont particulièrement visées car elles ne sont pas immédiatement monnayables dans une société qui voue un culte à la marchandise. Elles servent effectivement à penser ; à donner les moyens de faire face à la vie quotidienne et professionnelle, en se situant dans le monde présent, comme dans l’histoire ; à maîtriser les concepts ; à savoir lire et comprendre un texte, pour être en capacité de répondre aux demandes sociales et se recycler si nécessaire. Il est vrai que cette forme d’apprentissage du savoir, pour soi, permet d’acquérir la distance critique envers nos gouvernants. Voilà à quoi servent les études. Apprendre à penser à nos étudiants signifie leur donner les outils de connaissances qui leur ouvre la voie d’accès à l’autonomie. Là, est la seule autonomie qui vaille.
L’autonomie des universités, que le gouvernement nous propose, est, elle, une vaste blague ! et les reculs du pouvoir actuel ne sont que des pas de côtés qui ne remettent pas en cause l’idéal néo-libéral de nos gouvernants.
Non ! le savoir n’est pas une marchandise.
L’ultimatum, que nous avons lancé à nos ministères de tutelle, et dans lequel nous demandons le retrait de toutes les mesures prises depuis 2 ans, veut marquer un coup d’arrêt au processus de démolition des apprentissages de la connaissance à l’université — seul lieu ouvert à tout candidat au savoir, après la formation de base dispensée par nos collègues de l’enseignement secondaire.
Depuis plusieurs années déjà, imperceptiblement, le savoir est considéré par ceux qui nous gouvernent, comme une marchandise. Le titre même des paliers franchis jusqu’à la licence porte des noms marchands : unités de valeurs (UV), crédits, éléments constitutifs d’une unité d’enseignement (EC). À l’issue d’un cycle de formation, l’étudiant a comptabilisé les unités acquises désormais par « validation ». Il ne sait plus s’il peut dire qu’il maîtrise une langue, une période historique, une œuvre romanesque, un concept théorique, mais il est certain d’avoir accumulé la quantité suffisante d’EC pour obtenir un diplôme. Qu’importe le contenu, car il suffit d’une quantité x d’éléments comptables. Dans les universités, il n’est plus question d’apprendre à penser mais de savoir compter.
Il en est de même pour les chercheurs. Fichés, classés, expertisés, comptabilisés par le nombre de citations dont leurs écrits font l’objet, ils ne sont plus jugés pour l’originalité de leur projet mais examinés par une Agence (ANR : agence nationale de la recherche) qui décide de l’utilité marchande, éventuellement sociale, de telle ou telle recherche.
La formation des maîtres a minima, que le gouvernement est en train de mettre en place, consiste à dispenser des diplômes de bas niveaux destinés aux enseignants du secondaire précarisés, payés à l’heure de cours effectuée. L’université démantelée correspond précisément aux objectifs du pouvoir : dispenser un savoir immédiatement, recyclable en produit marchand, aux enfants de pauvres, aux gamins des banlieues, aux gosses des classes moyennes appauvries. Depuis ces dernières années, nous le savons, les inégalités sociales se sont accentuées et le nombre d’étudiants issus des classes de salariés s’est considérablement amoindri. Il suffisait donc d’adapter l’université à la réalité économique du moment ! Telle est le devenir que nous prépare le gouvernement et que nous refusons.

La ronde infinie des obstinés, tous ensemble : salariés, retraités, chômeurs, précaires, citoyens qui, dans la rue et ailleurs, résistent, nous disons tout simplement NON. 


Michèle Riot-Sarcey